Ahmed Azeggah

الجزائر

Ahmed Azeggagh (Béjaïa, 5 juillet 1942 – Alger, 24 avril 2003) est un écrivain racé, car rarement les auteurs de littérature conjuguent vie quotidienne et éthique intellectuelle. Droiture et probité caractérisent, ici, autant l’homme que ses idées, son existence et ses écritures.

Né au lieudit Nator-Emezaiene, sur le flanc protecteur de Yemma Gouraya, dominant Béjaïa, il est issu d’une famille de cinq enfants et lui-même en aura cinq. Il passe toute son enfance de bonheur pauvre dans les quartiers du port, avec les gens de la mer et les dockers de la misère, de la résistance anticoloniale, à la solidarité si simple et au truculent langage dont le futur écrivain héritera quelque peu de la verve populaire. A dix ans, sa famille émigre à Marseille. C’est le début des pérégrinations incessantes entre les deux rives de la Méditerranée. Le poète voyagera tant entre l’Algérie et la France qu’il est impossible d’établir un calendrier de ses va-et-vient. Comme pour sa fratrie et sa descendance, le nombre cinq revient pour les grandes étapes de sa vie, comme autant de haltes créatrices d’un itinéraire où les dates marquent plus des repères que des cadres habituels de ruptures : 1962-1971 : à Bejaïa et Alger ; 1971-1990 : en France ; 1990-1993 : de nouveau à Alger ; 1993-1997 : derechef en France ; 1997-2003 : retour définitif à Alger.

A la veille de l’indépendance, soit en juin 1962, Azeggagh revient à Béjaïa où il enseigne en tant qu’instituteur. Avoir 20 ans en Algérie indépendante et une telle responsabilité, quel bonheur pour un poète qui adore les enfants ! Lui qui taquinait déjà la muse, savait-il que sa poésie sera un jour de classe, dans le double sens du mot : appartenance poético-idéologique et récitation pour enfants ? En 1963, le poète en herbe, qui écrivait depuis l’âge de 14 ans, débarque à Alger. Et c’est le début de son aventure dans un registre d’écriture binaire auquel il restera fidèle : la poésie qui aide à vivre et le journalisme nourricier. Se préoccupant uniquement de culture, il publie des articles sur les auteurs algériens dans Alger Républicain et Alger, Ce Soir avant d’intégrer rapidement l’APS. Mais le passage par Alger, où règne une effervescence intellectuelle rendant un réel possible en Algérie nouvelle, marque surtout sa poésie.

La fréquentation des écrivains, artistes et intellectuels, gravitant autour du Théâtre national algérien dirigé alors par Mohamed Boudia ou du siège tout proche de l’Union des écrivains algériens, présidée par Mouloud Mammeri secondé par Jean Sénac – qui, tous deux, encouragent ce jeune membre –, l’amènent à publier ses premières poésies dans la première revue culturelle algérienne qui connaîtra quatre livraisons, Novembre(1). Le ton est donné : prise de la parole pour la liberté et l’espoir d’une sentinelle vigilante, n’oubliant ni l’enfance ni l’invincible fuite du temps. A son corps défendant, Azeggagh rejoint cette première génération de jeunes poètes de l’Algérie postcoloniale, cette fameuse génération 1964, pourrait-on dire, après celle des aînés de 1954, selon l’expression d’Henri Kréa.

En effet, cette année-là a vu la publication de Mourad Bourboune, Le Pèlerinage païen, et de Hamou Belhalfaoui, Soleil Vertical, tous poètes contestataires, auxquels s’ajoutent Azeggagh et Rachid Boudjedra, que Sénac publiera et célébrera à travers récitals, émissions radiophoniques et toutes ses anthologies. Ahmed Azeggagh participe également à son premier débat (Culture nationale et culture révolutionnaire ), avec Bachir Hadj Ali, Mohamed Boudia et Mohamed Khadda, publié en juin 1965 dans la revue française de gauche, Démocratie Nouvelle. Si Azeggagh est très discret sur sa vie privée, il l’est encore plus sur son action militante très individuelle, lui que quelques amis surnomment malicieusement «Le Rouge», en référence à son patronyme berbère.

Après le coup d’Etat du 19 juin 1965, il fait un séjour en Tunisie pour revenir quelques mois après à Alger. D’autres voyages ont été faits dans un cadre politique, notamment au Proche-Orient, du fait de son amitié irriguée par le militantisme de Mohamed Boudia, tous deux fortement engagés pour la cause palestinienne.

De l’activité journalistique d’Azeggagh, mentionnons qu’il a eu «droit à la parole», selon un vers du poète espagnol Blas de Otero repris comme titre d’entretien de l’auteur dans la page culturelle d’An Nasr (11 février 1967), alors dirigée, à Constantine, par son ami Malek Haddad, qu’il seconda de février à juin 1967. Retenons sa collaboration, à compter de 1968, à Révolution Africaine et d’octobre 1967 à septembre 1971, sa publication de quantité de contes et nouvelles dans Algérie-Actualités dont Viêtnam en Palestine et le 6 septembre 1970, sur le drame du peuple palestinien qui a meurtri le cœur de l’écrivain et de l’homme. Une décennie à peine après l’indépendance, en 1970, Azeggagh s’exile de nouveau en France. Il réside à Paris où il prend attache avec les milieux intellectuels de gauche. En vingt ans de séjour, il publie très peu dans les journaux et revues parisiennes. Dans le spécial «Littérature algérienne» de la revue Europe (n°567-568, juillet-août 1976), il donne un poème qui sonne juste, Outre-mer. A la mort de Mouloud Mammeri, il offre une poésie non panégyrique mais de belle humanité au fondateur de la revue Awal (n°6-7, 1990). En revanche, c’est une période prolifique en matière éditoriale puisqu’il publie successivement deux recueils de poésie et une pièce de théâtre chez Quatre Vents Editeur (lequel sera repris en 1987 pour devenir les Editions de Quatre-Vents).

L’ensemble poétique, Les Récifs du silence (1974, dédié à Mohamed Boudia) et Duel à l’ombre du grand A (1979, comprenant deux parties, dont un chapitre réservé aux «Enfants de Palestine»), prolonge les thèmes précédents de l’auteur : une véhémente imprécation d’un rêveur lucide et une confidence d’un être de douleur muette et d’espoir sublimé car, «écrire n’est rien si construire suffit». Quant à République des ombres (1976), c’est une pièce de théâtre dont le cadre habituel de dramaturgie est éclaté. L’action se déroule en Mélikie, un pays imaginaire où l’on n’a que le droit d’applaudir, faute de quoi «on est retiré de la circulation et livré aux mains des soldats de la nuit».